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JATAKAS: Les quatres fléaux de l’existence

JATAKAS: Les quatres fléaux de l’existence

Tandis que le Bouddha méditait sur les rives du lac des Lotus Immaculés près de la ville de Champa, Ananda vint lui poser plusieurs questions qui lui tenaient à coeur. Le victorieux répondit:

“ Le corps physique des êtres n’est rien d’autre que le résultat de la diversité de leurs actions positives ou négatives soumises à la loi de causalité. Pourtant ils s’attachent fortement à lui, à la manière de ceux qui, trouvant beau un vêtement tout neuf, n’arrivent pas à s’en séparer, même quand, il tombe en loques. Comment, à l’origine, créons-nous un lien si étroit avec notre organisme? Au moment de la copulation de l’homme et de la femme, le principe conscient, porteur du karma, s’intègre à l’ovule maternel fécondé par le sperme du père. La rencontre des substances blanche et rouge qui a lieu à ce moment-là induit une agitation analogue au barattage du lait produisant le beurre: surgissent alors dans la conscience des impressions très variées, agréables et désagréables, comparables au scintillement irisé de certains cristaux, à la condensation de l’eau dans les nuages, à l’émergence des fleurs d’une graine de sésame ou à la fusion de l’or dans le feu.

C’est la force de l’énergie karmique qui détermine l’intensité et la qualité de ces diverses sensations.

Le nouvel être vivant traverse ensuite les différentes phases embryonnaires: l’étape ovale, ou mouvement scintillant des cellules; puis la phase allongée, où l’embryon est comparé à une minuscule graine de sésame d’une consistance semi-liquide; puis celle où on le décrit comme entortillé avec un semblant de forme visible; celle, enfin où on le qualifie de granuleux, perceptible au toucher. L’embryon devenu foetus grandit progressivement dans la tiédeur du ventre maternel. Au terme de neuf mois d’expériences douloureuses, le vent karmique déclenche l’accouchement: comme la flèche tirée de l’arc, le bébé sort sans retour possible. Il ouvre grand la bouche et cherche de sa langue le sein de sa mère. Il ne sait que téter, il ne comprends pas les bruits qu’il entend et ne reconnaît pas ce qu’il voit. Balloté par ses conditionnements karmiques antérieurs, le nourisson endure de nombreuses souffrances. Ses perceptions sont très limitées: il distingue la présence de sa mère, mais le reste demeure vague. Son seul pouvoir sur le monde qui l’entoure se limite à pousser des cris lorsqu’il a faim. Souvent, il doit supporter les conséquences d’actes négatifs passés: il lui arrive par exemple d’être étouffé par ses copuvertures, couché de travers ou piqué par des insectes. Comment expliquer ce qui le gêne? Il ne sait que pleurer.

Pendant de longs mois, le tout petit reste ainsi à la merci de malaises intolérables dus à ses émotions conflictuelles. Peu à peu; les fonctions complexes apprises pendant un nombre incalculable de vies samsariques se trouvent suffisamment réactivées pour que l’enfant parvienne à réunir les consonnes et les voyelles de façon à proférer des sons dotés de sens.

Sortant de l’ignorance puérile, il commence à développer se facultés intellectuelles. Mais le voici déjà adolescent, la conscience obnubilée par les multiples tourments du désir. Les hommes sont attirés par les femmes, les femmes par les hommes, voilà la racine des douleurs de l’âge adulte. Amoureux, nous devenons insensés. Nous nous gazouillons des douceurs. Nous nous enlaçons, nous couvrant de baisers au goût de bière rance. Nous regardons sans jamais nous en lasser le visage de l’élu, nous en venons ainsi à trouver belle une personnes qui pourrait bien être notre pire ennemi. Pour un rien nous nous emportons contre les membres de notre propre famille, mais l’amant nouveau, l’amante nouvelle, nous plaît sans condition. Nous nous laissons même entraîner à prendre la femme ou le mari d’autrui.

Pendant un temps, la passion nous aveugle à en perdre la raison. Alors même que les flots du terrible samsara sont en train de nous engloutir inexorablement, myopes et fanfarons, nous nous obstinons à prétendre que tout va pour le mieux. En cela nous ressemblons aux éléphants qui s’enfoncent toujours plus profondément dans les marécages. Instables, perpétuellement occupés à courir en tous sens, nous nous amusons, nous dansons, nous étreignons la nudité du bien aimé dans l’euphorie des mots doux.

Tourbillonnant dans ce traquenard passionnel, nous ne voyons sur notre propre tête les marques du condamné à mort: imperceptiblement, comme la neige tombe, notre tête se couvre de cheveux blancs. Aveuglés par une continuelle ignorance, nous laissons fuir les occasions d’utiliser ce corps pour accumuler du mérite. Au bout de longues années gaspillées à des actes sans vertu, soudain la vie nous est comme dérobée. Nous voici vieux.

Charmes et vénusté escamotés, les vieilles femmes se retrouvent cassées, défraîchies comme les tiges de fleurs estivales quand vient l’automne. Les vieillards noircissent et se ravinent, vieux bois fragilisé par le gel et leur visage se fripe tel celui des singes dans la forêt. Le merveilleux jeune homme, souple comme une liane dorée, se réveille privé de sa beauté et se sent comme un arbre rongé par les insectes. Les jeunes filles le regardent de loin et l’évitent. Les dents bougent, les cheveux se font rares, la respiration pénible, les forces déclinent: autant de signes certains d’une mort inéluctable. Mais, même lorsque nous nous voyons dans cet état, les pulsions de nos tendances habituelles ne faiblissent pas, nous persistons à entasser gaillardement des actes négatifs. Sur ces entrefaites, comme un huissier poursuivant un mendiant, la mort surgit et nous passons, toujours aussi étroitement lié par notre passion pour nos terres, notre maison, nos biens, nos employés, nos enfants, notre époux.

Cet attachement si désespéré au moment de la mort, et le mûrissement de nos actes négatifs passés, nous conduisent à subir des milliers des fois de souffrances intolérables, que nous appelons enfers: nous nous sentons bouillis dans les Chaudrons de Cuivre, torturés dans l’enfer des lamentations et découpés en tranche dans l’enfer des Lignes Noires.

 

Pour ces raisons, Ananda, quand on naît homme, à mesure que l’on grandit, il importe d’apprendre à lire. Il faut aussi s’instruire, réfléchir et méditer. L’urgence, c’est de se saisir du moyen qui nous permettra de ne plus jamais retomber dans le flot de l’existence samsarique. Ce moyen c’est d’entraîner à la concentration parfaite une intelligence sans tâche, et agir de manière à libérer tous les êtres.

Le Bouddha exposa ainsi à Ananda les implications désastreuses des quatres fléaux de l’existence: la naissance, le vieillissement, la maladie et la mort.


Cet enseignement est la dixième feuille de la Liane Magique qui exauce tous les souhaits.

*Livre : La Liane Magique (Les Hauts Faits du Bodhisattva) aux Editions Padmakara.

Préface: 

Quand le Bouddha transmit les Jatakas ou « contes des vies antérieures », il est peu probable que son intention ait été de composer un récit à caractère historique. En tout cas, ce n’est pas pour leur valeur d’archive que ces contes furent consignés par écrit et transmis pendant tant de siècles ; et quand nous les lisons aujourd’hui au XXIème siècle, ce n’est pas non plus en vue d’y rechercher des informations exactes sur des évènement et des faits avérés.

 


Si nous sommes amenés à lire, relire et méditer ces récits si nous acceptons que tout à la fois ils nous touchent, nous dérangent et nous émerveillent, c’est sans doute qu’en nos cœurs nous savons que le Bouddha nous les a transmis pour de tout autres raisons.

 

En effet, les Jatakas dépeignent comment les boddhisatvas au cours de longues séries d’existences viennent au monde sous toutes sortes de formes : animal, femme, homme, roi, pauvre, méchant ou saint. Tantôt piteux antihéros, tantôt personnage majestueux, le boddhisatva est avant tout un être qui suit un processus, un long cheminement.

 

(...) le but premier de ces histoires est de montrer que l’Eveil est possible ; il le fut au temps du Bouddha, il le reste aujourd’hui.

 

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