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NOUVEAU | Projet Enfants & Ecole Bouddhiste | Zoom 20 Avril

JATAKAS: Le roi Rabsel et l’éléphant blanc

C’était il y a très longtemps. Le roi Rabsel régnait sur Bhasvati, la ville lumineuse. Parmi les jardins toujours en fleurs se dressaient de belles et riches maisons coiffées de dômes dorés. C’est là que vivait le roi Rabsel, entouré d’hommes et de femmes sages et intelligents. Ce grand roi était honnête et généreux. Il veillait sur tous les êtres avec un amour immense et était connu dans le monde entier pour sa bonté. Tous les autres rois le respectaient. Ils étaient même heureux de lui obéir. Chaque fois que le roi leur donnait un ordre, c’était comme s’il leur offrait une nouvelle fleur d’or pour embellir leur couronne.

Un jour, un cornac, connu sous le nom de Passepartout, attrapa dans la forêt un éléphant extraordinaire: il était immense et blanc comme la neige. Ayant conduit l’animal devant les portes du palais, le cornac pria le roi de venir admirer cette monture digne d’Indra, le souverain des royaumes célestes. Le roi sortit en compagnie de toute la cour. Il fut si émerveillé par cette montagne blanche vivante qu’il déclara:

“Qu’on dompte cet éléphant et qu’on me l’offre!”

Et il rentra au palais, suivi de ses dignitaires encore tout éblouis par le spectacle. Chacun vantait les qualités de l’animal, sa blancheur, ses grandes oreilles, son regard si doux. Et sa langue si rose…

Passepartout apprivoisa facilement l’éléphant, car il avait déjà travaillé avec lui au cours de vies passées. C’était donc une vieille connaissance et l’animal devint rapidement obéissant et doux. Dès que son maître le lui ordonnait, il allait à droite, à gauche, chargeait ou s’arrêtait. Il s’agenouillait pour qu’on puisse monter sur son dos ou bien marchait avec délicatesse. Il faisait tout ce qu’on lui demandait sans jamais s’énerver.


Les enfants, cachés derrière de larges feuilles de bananiers, assistaient à la scène bouche bée. Jamais ils n’avaient vu pareil spectacle! Un jour ils entendirent Passepartout parler tout seul. Il avait l’air fier de lui:

“Voilà! Le grand éléphant blanc est maintenant dressé et bien dressé! Allons l’offrir au roi ! ”

Sans plus attendre, Passepartout mena l’animal au palais et l’offrit au souverain. Il lui fit don également du long bâton terminé par un crochet qui permet au cornac de guider sa monture. Le roi était enchanté. Il tournait autour de l’animal, caressait sa trompe, lui tapotait les flancs…

Le cornac fit agenouiller l’éléphant pour que le roi monte sur son dos. Et comme l’astre du jour grimpe le matin au sommet des montagnes, le roi grimpa dans le beau panier fixé sur l’éléphant. Les rubans et les ornements multicolores, les clochettes étincelantes, les tapis de soie resplendissaient sous le soleil.

Le roi était décidément très content. Il s’installa confortablement sur les coussins de brocart, protégé par une ombrelle. Et il donna le signal du départ.

Accompagné de Passepartout et suivi de toute la cour, il partit se promener dans la capitale. Puis la petite troupe sortit de la ville. Sur son passage, les enfants arrêtaient de jouer les chiens cessaient de se chamailler. Le cortège passa dans un nuage de poussière rouge et se dirigea vers les grands arbres de la forêt. Après une longue marche il arriva près d’une montagne si pointue qu’on l’appelait Perceuse du ciel.


Lorsqu’il se trouva dans la forêt, le grand éléphant blanc fut soudain repris par ses anciennes habitudes. Il oublia tout ce qu’il avait appris avec son cornac et se mis à gambader dans les bois en n’en faisant qu’à sa tête.

Tout à coup, il flaira l’odeur d’une éléphante en chaleur. Fou de désir, il se lança au grand galop sur ses traces. Il courait parmi les arbres. Il traversait les fourrés à toute allure. Il dévalait les pentes. Il n’avait qu’une seule envie: rejoindre l’éléphante qu’il avait sentie.

Il avait oublié ses passagers, Passepartout s'agrippait à ses oreilles. Le roi se cramponnait à son panier, balloté par cette course folle. Il voyait le ciel et la terre tournoyer. Pris de panique, il cria au cornac:

“ Que se passe-t-il? Tu m’avais juré que cet éléphant était dompté! Regarde ce qu’il fait!

- Pourtant, je l’ai dressé! ” se défendit Passepartout, affolé.

Malgré les secousses, il essayait de joindre les mains pour demander pardon. Il était honteux car l’éléphant faisait tout le contraire de ce qu’il lui avait appris et mettait la vie du roi en danger.

Il bredouilla: “Je suis parfaitement capable de dresser le corps d’un éléphant. Je l’ai fait. Mais qui pourrait dresser son esprit? Qui pourrait lui apprendre à maîtriser ses passions? Pas moi en tout cas. Uniquement celui qui aurait apprivoisé son propre esprit.” 


Passepartout baissait la tête pour éviter les branches. Secoué par les mouvements désordonnés de l'éléphant, il avait du mal à parler. Il hoqueta:

“Il est aussi difficile de dompter un esprit emporté par la passion que d’inverser le cours d’une cascade. Regardez, Majesté! Depuis que l’éléphant a senti l’odeur de la femelle mon crochet ne lui fait pas plus d’effet que la caresse d’une plume.” Et il tressautait de plus belle incapable de calmer l’animal. “Il n’y a rien à faire, il ne veut pas m’écouter. Voilà ce qui arrive à ceux qui se laisse emporter par leurs envies! Rien, ni la fatigue, ni la menace, ni aucune chaîne ne peut les retenir, et…, une secousse brutale le fit retomber lourdement sur le dos de l’éléphant… Et ils prennent forcément le mauvais chemin”, dit-il le souffle coupé.

“S’il en est ainsi, cria le roi, laissons l’éléphant filer où il voudra! Quant à nous, essayons d’attraper une liane pour nous arracher à ce diable d’animal!”

Ils saisirent au passage une grosse branche et sautèrent au pied d’un arbre. Ouf! Ils étaient sains et saufs. Ils attendirent là le reste de la troupe, puis, tous ensemble, ils rentrèrent au palais.


Dans la forêt, l’animal poursuivait sa course éperdue avec fracas. Il réussit à rejoindre l’éléphante. Il s’accoupla avec elle jour et nuit et sa passion finit par s’épuiser.

Au bout de sept jours, il se souvint soudain de son cornac et de son enclos. Il retourna alors à son piquet, le corps et l’esprit complètement soumis.

Tout heureux, Passepartout courut chez le roi:

“Majesté! Le grand éléphant blanc qui avait perdu la tête pour une éléphante est revenu! Il n’a rien oublié de ce que je lui avais appris. Regardez comme il m’obéit!”

Le cornac apporta une torche de métal enflammé et ordonna à l’éléphant: “ Allez, mange!”

Sans hésiter un seul instant, l’éléphant tendit la trompe pour saisir la torche.

Le roi applaudit à cette prouesse.

“Voyez, ô grand roi! s’exclama Passepartout, on peut dompter le corps des animaux les plus féroces, comme le lion ou le tigre, mais faire obéir un esprit aveuglé par la passion, c’est une autre histoire!

-Passepartout, ce que tu dis est vrai et sensé, répliqua le roi. Sais-tu s’il existe dans ce  monde quelqu’un capable de dresser l’esprit de l’homme, sans violence mais avec discipline?” 

Passepartout ne savait que répondre. Mais tout à coup, il entendit une voix lui souffler la réponse dans l’oreille:

“Grand roi, le seul être qui en soit capable, c’est le Bouddha! Il a commencé par contrôler en lui même toutes ses passions qui nous font perdre la tête et nous causent tant de souffrances. Lui, il a tout compris. Il ne se laisse plus emporter par ses envies. Son esprit n’est plus obscurci ni tourmenté: il est paisible et parfaitement clair!”


A l’instant même où le roi entendit le nom du Bouddha, son coeur se gonfla d’une immense tendresse. Il se souvint qu’il avait lui même été bon et généreux dans ses vies passées. Il formula le souhait suivant:

“J’aimerais tellement délivrer tous les êtres de la souffrance! Je voudrais leur faire comprendre que c’est l’ignorance qui les rend malheureux. Ah! s’ils pouvaient suivre le chemin de la sagesse et de l’amour et devenir tous des bouddhas ! ”

C’était un voeu si généreux que, du haut du ciel, on entendit les dieux proclamer:

“Le roi Rabsel atteindra l’état de bouddha grâce à sa générosité et au voeu qu’il vient de faire!”


A partir de ce jour là, le roi se souvint de toutes les vies extraordinaires au cours desquelles il avait été un homme très sage. Il devint un bodhisattva, un être au grand coeur qui préfère rester dans le monde pour aider les êtres plutôt que de devenir un bouddha immédiatement.

Avec ses yeux célestes, il voyait au delà de l’horizon.

 

*Livre : Les contes de Jataka - Le roi Rabsel et autres histoires aux Editions Padmakara.

 

Contexte des Jatakas

 

Quand le Bouddha transmit les Jatakas ou « contes des vies antérieures », il est peu probable que son intention ait été de composer un récit à caractère historique. En tout cas, ce n’est pas pour leur valeur d’archive que ces contes furent consignés par écrit et transmis pendant tant de siècles ; et quand nous les lisons aujourd’hui au XXIème siècle, ce n’est pas non plus en vue d’y rechercher des informations exactes sur des évènement et des faits avérés.

 

Si nous sommes amenés à lire, relire et méditer ces récits si nous acceptons que tout à la fois ils nous touchent, nous dérangent et nous émerveillent, c’est sans doute qu’en nos cœurs nous savons que le Bouddha nous les a transmis pour de tout autres raisons.

 

En effet, les Jatakas dépeignent comment les boddhisatvas au cours de longues séries d’existences viennent au monde sous toutes sortes de formes : animal, femme, homme, roi, pauvre, méchant ou saint. Tantôt piteux antihéros, tantôt personnage majestueux, le boddhisatva est avant tout un être qui suit un processus, un long cheminement.

 

(...) le but premier de ces histoires est de montrer que l’Eveil est possible ; il le fut au temps du Bouddha, il le reste aujourd’hui.